Les créations culinaires bientôt protégées par un nouveau titre de propriété intellectuelle ? Chefs, à vos pianos et batteries !
Publié 05 novembre 2019
Depuis 2010, le « repas gastronomique des français » est inscrit au Patrimoine culturel immatériel de l’Humanité de l’UNESCO.
Pourtant, en droit français positif, les recettes de cuisine de nos chefs ne sont pas protégées par le Code de la propriété intellectuelle.
En avril 2019, une proposition de loi a été présentée à l’Assemblée Nationale proposant de créer un nouveau « titre de propriété intellectuelle protégeant une création culinaire ».[1]
L’absence de protection des recettes de cuisine par le Code de la propriété intellectuelle
Aujourd’hui, les recettes de cuisine ne sont pas protégées par le Code de propriété intellectuelle : ni par le droit d’auteur, ni par le droit des brevets.
Le droit des marques n’exclut pas, en théorie, les marques gustatives. Mais en pratique, les conditions de représentation graphique, de précision et d’objectivité sont très difficiles à satisfaire, ce qui explique l’absence de protection par le droit des marques[2].
La seule protection juridique des recettes de cuisine existant actuellement est le secret (et autres accords de confidentialité et de non divulgation). Pratique utilisée depuis de nombreuses années par les professionnels.
Pourtant, lorsqu’on s’intéresse d’un peu plus près aux conditions de protection en droit d’auteur français, on peut de prime abord s’interroger sur les raisons de l’absence de protection puisque, a priori, le droit d’auteur pourrait tout à fait s’appliquer aux créations culinaires.
Pour qu’une œuvre soit protégée par le droit d’auteur, il faut que cette œuvre soit :
- une « œuvre de l’esprit »,
- une œuvre matérialisée,
- une œuvre originale, c’est-à-dire, qu’elle soit l’empreinte de la personnalité de son auteur.
Théoriquement, une recette de cuisine pourrait être qualifiée d’œuvre de l’esprit : l’association entre deux ingrédients et la saveur qui naitra de cette association est bien une création née dans l’esprit d’un chef, auteur de la recette, qui a laissé l’empreinte de sa personnalité par les choix effectués dans l’association des saveurs et des couleurs d’un plat. Le plat constitue la matérialisation de l’œuvre.
L’inimitable « saumon à l’oseille » de Pierre Troisgros est bien une création originale du chef roannais et qui a fait sa renommée !
Pourtant, ce n’est pas ce qu’ont pu décider les juridictions nationales qui refusent de reconnaitre qu’une recette de cuisine puisse être « une œuvre de l’esprit » protégée au titre du droit d’auteur et qui estiment qu’une recette n’est qu’une « succession d’instructions », « un savoir-faire qui n’est pas protégeable »[3].
L’existence d’une protection pour les livres de recettes ou procédés culinaires.
A défaut de protection pour la recette de cuisine elle-même, la jurisprudence a toutefois reconnu que les recettes puissent « être protégées dans leur expression littéraire ».[4]
Les livres de recettes peuvent donc bénéficier de la protection par le droit d’auteur en tant qu’œuvre littéraire. Les éléments protégés peuvent être, sous réserve d’originalité, le texte et la présentation de la recette et la photographie du plat. La recette ne sera pas protégée en tant que telle.
La présentation du plat peut également être protégée à l’instar d’un tableau ou d’une sculpture par le droit d’auteur. Mais là encore, ce n’est pas la recette en elle-même qui est protégée.
Enfin, un procédé culinaire peut faire l’objet d’une protection par le droit des brevets sous réserve que ce procédé soit « nouveau et inventif qui apporte une solution technique à un problème technique »[5].
La proposition de création culinaire : un droit sui generis inspiré du droit des brevets avec une pincée de droit d’auteur et un soupçon de dessins et modèles
La proposition de loi du 30 avril 2019 propose la création d’une « Fondation pour la gastronomie française » qui aura pour objectif de « promouvoir la connaissance, la conservation et la mise en valeur de la gastronomie nationale »[6] puis un nouveau titre de propriété intellectuelle.
Celui-ci serait régi par le Code du Patrimoine (article L.145-1 et suivants) et se traduirait par un « certificat de création culinaire » délivré par « l’Institut National de la création culinaire », institut dédié qui serait mis en place pour ce faire[7].
La protection de la création culinaire serait un mélange de plusieurs ingrédients juridiques concoctés par les rédacteurs de la proposition :
- A l’instar des brevets, la création culinaire serait protégée pour une durée de 20 ans avec une redevance annuelle à payer afin de maintenir la protection. La création culinaire devra impliquer une activité créatrice qui ne découle pas de « manière évidente de l’état de l’art culinaire» pour l’homme du métier[8]
- A l’instar des dessins et modèles, la création culinaire devra être nouvelle et avoir un caractère gustatif propre, «si ses qualités gustatives donnent une impression d’ensemble de non déjà gouté »[9].
- A l’instar du droit d’auteur, le créateur culinaire bénéficiera de droits d’exploitation sur sa création mais également des droits moraux tels que le droit de divulgation, le droit au nom et le droit au respect de sa création.
Un contexte jurisprudentiel défavorable à la protection des créations culinaires par le droit d’auteur
Cette démarche intéressante s’inscrit dans un contexte jurisprudentiel défavorable puisque la Cour de Justice de l’Union Européenne dans un arrêt récent du 13 novembre 2018 « Levola » a refusé de reconnaitre la qualité d’œuvre de l’esprit à une saveur estimant qu’une saveur ne répond pas aux conditions de précision et d’objectivité qu’elle exige pour qu’une œuvre puisse être protégée par le droit d’auteur.[10]
Même si elle n’exclut pas irrévocablement les saveurs des œuvres protégeables au titre du droit d’auteur, la Cour de Justice de l’UE confirme la réticence des juridictions françaises à reconnaitre aux saveurs et fragrances la qualité d’œuvres protégeables au titre de droit d’auteur.
Toutefois, la protection suggérée par la proposition de loi prévoit un nouveau titre de propriété intellectuelle qui est une sorte de régime hybride mixant le droit d’auteur au droit des brevets et au droit des dessins et modèles. Il ne s’agit pas de droit d’auteur pur.
Le régime de la création culinaire n’irait pas complètement à l’encontre de cette jurisprudence puisque les conditions de protection retenues ne semblent pas être celles du droit d’auteur mais celles d’un mélange entre le droit des brevets et le droit des dessins et modèles.
Si vous souhaitez des renseignements ou des informations supplémentaires sur la protection de vos recettes, de vos livres de recettes, de vos photos de plats ou procédés culinaires, n’hésitez pas à nous contacter.
Olivia BELOUIN
[1] Proposition de loi relative à la protection des recettes et des créations culinaires n°1890 du 30 avril 2019, Titre II, Article 2, http://www.assemblee-nationale.fr/15/pdf/propositions/pion1890.pdf
[2] INPI, « Peut-on déposer une odeur ou un gout en tant que marque ?”, Foire aux Questions, site INPI, consulté le 7 octobre 2019, URL : https://www.inpi.fr/fr/faq/peut-deposer-une-odeur-ou-un-gout-en-tant-que-marque
[3] TGI PARIS, 30 septembre 1997, RIDA juillet 1998, n°177, p.273
[4] idem
[5] INPI, « Comment protéger quoi ? » « Ma recette », site INPI, consulté le 7 octobre 2019, URL : http://commentprotegerquoi.inpi.fr/#panel/recette/
[6] Proposition de loi relative à la protection des recettes et des créations culinaires n°1890 du 30 avril 2019, Titre I, Article 1er, http://www.assemblee-nationale.fr/15/pdf/propositions/pion1890.pdf
[7] Proposition de loi relative à la protection des recettes et des créations culinaires n°1890 du 30 avril 2019, Titre II, Article 2, http://www.assemblee-nationale.fr/15/pdf/propositions/pion1890.pdf
[8] idem
[9] ibidem
[10] Cour de Justice de l’Union Européenne, 13 novembre 2018, n° C-310/17 « Levola Hengelo B.V. c/ Smilde Foods B.V. »