Un distributeur peut-il continuer d’exploiter le nom de domaine de la marque après la fin de son contrat ?
Publié 18 décembre 2023
Le cas est classique. L’agent ou le distributeur réserve un nom de domaine (NDD) incorporant la Marque de la Société dont il distribue des produits ou services. Lorsque le contrat se termine, il continue de l’exploiter en le re-routant alors vers son nouveau site de présentation de produits ou services.
Ce routage permet de diriger la clientèle vers le stock d’anciens produits qu’il n’a pas encore complètement écoulés ou vers tout autre produit original sous la marque acquis licitement.
La récupération d’un nom de domaine est difficile :
Juridiquement, il est très compliqué pour une Société dans une telle situation de récupérer ces noms de domaine réservés par des distributeurs. La jurisprudence est abondante sur ces difficultés (cf. pour une décision récente : OMPI, centre d’arbitrage et de médiateurs, 9 nov.2020, affa. D2020-0008, Century 21 Real estate LLC c/ Lucas Ivanoc, Fresh Realestate in Propriété industrielle, n°2 Février 2021).
Il faut prévoir une clause spécifique dans le contrat dès l’origine :
Si le contrat initial n’a pas prévu une clause écrite et précise d’interdiction de réservation d’un NDD incluant la marque, le distributeur ne contrevient pas à un engagement… qu’il n’a pas pris.
Le recours au juge en invoquant le non-respect du contrat sera inopérant, à défaut pour le contrat de contenir cette interdiction et il n’y a pas de déloyauté au moment du dépôt du NDD puisque de surcroit l’usage est dédié à l’activité sous franchise. Par ailleurs, une telle réservation de NDD n’est pas en soi, interdite.
Après l’expiration du contrat, l’obligation de loyauté pourrait éventuellement être invoquée pendant un court délai après mais ensuite, la liberté du commerce reprend ses droits. Invoquer alors une déloyauté post-contractuelle supposera de caractériser une faute du distributeur, un dommage et un lien de causalité entre la faute et le dommage.
Si un accord amiable et souvent onéreux ne permet pas de récupérer le NDD, la société peut envisager de se tourner vers les centres d’arbitrage et de médiation. Mais l’analyse de la jurisprudence montre que là aussi, les chances de pouvoir récupérer le NDD sont très faibles.
La décision « Century » sus-visée a trait à une réservation d’un NDD incluant la marque par un franchisé qui était autorisé à utiliser les marques pour l’exercice de son activité sous franchise. Aucune interdiction de réserver ces NDD ne figurait explicitement dans le contrat. La réservation du NDD pendant l’exécution du contrat est alors estimée « de bonne foi » par les juges.
La demande du franchiseur visant à obtenir le transfert à son profit du NDD réservé par son ex-franchisé est rejetée.
Le Franchiseur ne peut récupérer le NDD et le successeur franchisé sur le secteur ne pourra donc pas utiliser ce NDD, avec une déperdition de clientèle certaine.
Une autre décision UDRP récente (OMPI, 23 sept 2023, n°D2023-3152, ROCKWOOL A/S c/ Hervé Duperret, Duperret Distribution SARL, <noistop-direct.com>, Propriété Industrielle, n°12 Décembre 2023) est venue appuyer cette position lors de la rupture d’un contrat de distribution exclusive.
En l’espèce, le défendeur, représenté par le Cabinet DEGEZ KERJEAN Avocats, continuait d’utiliser le nom de domaine, ceci afin d’écouler les produits commercialisés sous la marque de son ancien fournisseur. Le requérant arguait qu’en vertu de la rupture du contrat de distribution exclusive, l’emploi du nom de domaine était donc fait de mauvaise foi
L’expert, après avoir rappelé que les conditions d’utilisation et d’enregistrement de bonne foi sont cumulatives, a estimé au contraire, que l’utilisation du nom de domaine après la rupture du contrat ne prouve pas suffisamment la mauvaise foi du distributeur au moment de l’enregistrement. En d’autres termes une réservation d’un nom de domaine de bonne foi devrait permettre d’obtenir le rejet d’une plainte UDRP.
Le commentaire de la décision dans la revue Propriété Industrielle n°12 Décembre 2023, considère que « cette décision est bienvenue ».
Le distributeur peut donc continuer de disposer du nom de domaine sans que le fournisseur n’ait son mot à dire !
Conclusion : Si vous êtes distributeur et que vous souhaitez continuer d’utiliser le nom domaine se rapportant à la marque de votre ancien fournisseur : vous le pouvez dès lors que l’enregistrement a été fait de bonne foi !
Au contraire, si vous envisagez de faire distribuer vos produit sou services par des agents ou distributeurs, il faut impérativement, pour sécuriser vos marque et vos noms de domaine, encadrer –par écrit – les modalités de dépôt et prévoir clairement qui dépose et à quel nom, quelle charte graphique, quelles activités autorisées sous ce NDD etc…
Le Cabinet DEGEZ KERJEAN est à votre disposition pour vous accompagner et vous conseiller dans ce domaine.