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Dessins et modèles : Enjeux et preuves de divulgation antérieure aux dépôts susceptible d’anéantir les droits

Publié 22 octobre 2024

Il est parfois tentant de s’empresser d’exposer (sur internet, dans des salons spécialisés, à la télévision…) le nouveau produit qui va être commercialisé prochainement. Grave erreur !

Et pour cause, agir ainsi avant toute démarche de protection peut s’avérer (très) préjudiciable. Effectivement, lorsqu’on envisage de protéger ses produits par le droit des dessins et modèles, il faut respecter un certain ordre.

Il faut ainsi d’abord déposer le dessin /modèle en bonne et due forme devant l’office souhaité (et obtenir une date de dépôt) avant de le dévoiler au grand public.

Pourquoi ? Car pour être valable, un dessin ou un modèle doit être nouveau et présenter un caractère individuel, c’est-à-dire qu’aucun dessin ou modèle identique ne doit exister dans le patrimoine des dessins et modèles à la date de dépôt (article 5 du Règlement (CE) n° 6/2002) et que l’impression globale qu’il produit sur l’utilisateur averti doit différer de celle produite par tout dessin ou modèle divulgué antérieurement à la date de dépôt au public (article 6 du Règlement (CE) n° 6/2002).

Or si un dessin ou un modèle est divulgué avant la date de dépôt, il risque d’être “antériorisé” ou de ne pas présenter de caractère individuel et s’exposera alors à une annulation postérieure.

La divulgation n’est donc pas un acte juridique anodin, que ce soit pour le titulaire ou un tiers concurrent.

Mais alors comment prouver la divulgation ? D’ailleurs, toute divulgation est-elle réellement destructrice de nouveauté / caractère individuel ? Comment y faire face ?

 I – Du point de vue du tiers

 Un tiers aura tout intérêt à obtenir l’annulation d’un modèle concurrent pour défaut de nouveauté / caractère individuel. En effet s’il y parvient, le titre n’existera plus, ce qui peut être avantageux sur le plan concurrentiel. En outre, s’il était assigné en contrefaçon, l’action ne pourra qu’être rejetée dans la mesure où le titre est réputé n’avoir jamais existé.

Le tiers a naturellement la charge de prouver la divulgation qu’il allègue mais il peut le faire par tout moyen[1].

Il s’agit donc d’une stratégie d’entreprise intéressante et d’un moyen de défense redoutable s’offrant au tiers.

A l’inverse, la sanction pour le titulaire négligent pourrait être lourde de conséquence. On peut notamment penser à la société PUMA dont un des modèles phares a été récemment annulé suite à une auto-divulgation en 2014 sur Instagram faite 2 ans avant le dépôt du modèle en 2016[2].

 II – Du point de vue du titulaire

 Le titulaire, s’il doit évidemment faire preuve d’une grande vigilance, peut toutefois se rassurer. Effectivement, l’antériorité (objet de la divulgation), doit répondre à certaines conditions pour être valable et donc produire ses effets. En outre, le titulaire dispose de certains recours pour éviter, même en cas de divulgation, l’annulation de son titre.

Les caractères de l’antériorité :

Le droit de l’Union européenne précise que l’antériorité doit naturellement être publique (Art 7 du règlement nº 6/2002 du 12 décembre 2001 – repris à l’art L.511-6 du CPI). Autrement dit, une divulgation sous couvert du secret (clause de confidentialité, professions assujetties au secret) ne détruit pas de facto la nouveauté / caractère individuel du dessin ou modèle.

L’antériorité doit aussi pouvoir être raisonnablement connue par un professionnel du milieu concerné (Article 7 du règlement nº 6/2002 précité). Ainsi par exemple, en matière de modèles de chaussures, il y a peu de chance qu’un exemplaire unique de soulier créé artisanalement dans la jungle cambodgienne puisse constituer une antériorité opposable ! Pour un exemple : des thèses scientifiques n’ont pas été considérées comme antériorités inopposables[3]. Néanmoins, c’est bien au titulaire de prouver que l’antériorité alléguée ne pouvait pas être raisonnablement connue, ce qui n’est pas toujours aisé [4]

L’antériorité doit également être “suffisante” dans le sens où l’on doit pouvoir observer distinctement et précisément la totalité des caractéristiques du dessin et modèle litigieux dans l’antériorité alléguée[5]

Enfin, l’antériorité alléguée doit être “de toutes pièces[6]c’est-à-dire qu’il faut seulement apporter au débat des antériorités reprenant toutes les caractéristiques du dessin ou modèle litigieux. Ainsi, on ne peut pas faire la somme de plusieurs éléments similaires de plusieurs antériorités pour détruire la nouveauté ou le caractère individuel d’un dessin ou modèle.

Les recours laissés au titulaire :

Ouf ! Heureusement tout n’est pas perdu pour le titulaire ayant divulgué lui-même son modèle ou ayant vu ce dernier être publié par un partenaire (trop) enthousiaste.

En effet, une auto-divulgation ou une divulgation abusive (violation du devoir de confidentialité, espionnage industriel…) n’est pas destructrice de nouveauté si le dessin ou modèle est ensuite déposé dans les 12 mois suivants (Article 7 du règlement nº 6/2002 précité).

Toutefois, le titulaire d’un dessin ou modèle doit rester attentif avant le dépôt. Il doit ainsi porter une attention particulière aux délais, à la date d’une potentielle divulgation et au public visé s’il veut conserver son titre. En clair, mieux vaut procéder au dépôt du modèle avant de le divulguer à quiconque. Toutefois, si une telle divulgation avant dépôt s’avérait nécessaire, il faudrait alors impérativement faire signer au partenaire (sous-traitant, commerciaux etc…) conclure une clause de confidentialité au préalable.

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Le cabinet DEGEZ-KERJEAN Avocats se tient à votre disposition pour toutes questions relatives au droit des dessins et modèles ainsi que pour tous contentieux qui pourraient s’y afférer.

[1] Trib. UE, 24 avr. 2024, aff. T-208/23, Forlam Clôture Industrie (FCI) c/ EUIPO

[2] TUE, 6 mars 2024 Aff. T-647/22, PUMA/EUIPO – Handelsmaatschappij J.Van Hilst

[3] TJ Paris, 3e ch., sect.1, 21 déc. 2023, n° 21/08460, S.A.S Watt and Sea c/ Remoran OY[3]).

[4] Trib. UE, 24 oct. 2019, aff. T-560/18, Atos Medical c/ EUIPO  ; CA Versailles, 12e ch., 15 déc. 2022, n° 21/0088).

[5] TUE, 6 mars 2024 Aff. T-647/22, PUMA/EUIPO – Handelsmaatschappij J.Van Hilst.

[6] Cass. com., 14 oct. 2020, n° 18-16.426, Iro c/ Mango et Punto FA ; CJUE, 21 sept. 2017, aff. jtes C-361/15 P et C-405/15 P, Easy Sanitary Solutions BV EUIPO c/ Group Nivelles ; CA Paris, Pôle 5, chambre 2, 27 Mars 2015 – n° 12/03021